Virgil TEODORESCU
La fenêtre
La fenêtre était couverte par une cheminée et je vivais derrière,
vive le tuyau entretenu de coke (avec du coke) –
je me promenais d’un bout à l’autre derrière le tuyau,
je m’étais noirci d’un bout à l’autre,
l’eau que je buvais était aussi noire,
je faisais même des signes clandestins, je criais, mais la fumée
envahissait ma bouche
et elle me noyait;
je faisais aussi des projets, vivant derrière le tuyau,
et quand je m’irritais il sortait une traînée formidable
de fumée.
"Peignons en deux", me disait-il les dimanches,
d’après lui j’ai préparé le bac,
la cheminée noircissait toujours l’espace entre les lignes,
j’étais derrière lui et je regardais mon cerveau maladif, lourd
comme un mollusque,
la fumée le couvrait, je soufflais à toute force, mais en vain –
et je sentais comme devant moi passent
des trains pleins de vaches et de matériaux,
je crois que c’était une ligne importante,
je criais, je voudrais demander si les filles et les arbres
avaient encore poussé –
on ne pouvait rien faire, la fumée envahissait ma bouche et
elle me noyait.
Aucune fille n’a pas pensé le pénétrer avec sa cuisse,
mais même une casserole c’était assez pour moi
(je crois que je fusse affolé par la fumée de coke)
et la muraille du fond était toute entière occupée
par une étudiante boiteuse
que j’appelais amélie erhart, ma bien-aimée,
dont le visage était couvert d’une masque lourde en velours,
avec des cordes à l’aisselle,
avec d’autres cordes aux chevilles,
les bras vides
s’étendaient implorant vers moi et elle me disait:
je t’aime extrêmement, les cordes mouillées pénètrent ma chair
elle aussi était noire
mais elle avait tout de même de blancs lieux,
je crois que son ventre fût blanc comme la neige,
je savais que je doive traverser sa chair pour que je casse
une fois le mur du fond –
et tout s’est passé justement comme ça.
1932
Les cercles en bois épouvantent les arbres
Pendant quelques soirées les hommes trahissaient
Les cercles en bois épouvantaient les arbres
Et l’étrange main du vent de nord
Pendait décomposée sur les grandes portes de réflecteurs
et de miroires
Les réflecteurs fabuleux enivraient les hommes comme un
opium
Avec leur arôme d’herbe et de racine
Et les soirées de ces trahisons étaient très belles
Ô les soirées où les adolescents trahissaient leurs mèches de
cheveux jusque l’horizon les engloutissaient
Les soirées où les athlètes trahissaient leur saut mortel
passant par la chair leurs minces doigts
Les soirées où les midinettes trahissaient leurs cuisses
découvertes
Avec une simplicité troublante hallucinante
Les soirées au dessus de qui le crépuscule encore flottait
Où les amoureux immobiles trahissaient leurs aiselles
O les soirées de cette ville linéaire
Où les aveugles trahissaient leurs chiens gigantesques
redressant au-dessous les arbres les bâtons en bambou
tandis que sur les boulevards les cyclistes pédalant élégamment
trahissaient leurs pâles vélos
Les froides soirées où les veufs lubriques étaient des parjures
des nocturnes chasses grandieuses
où les attentateurs de bijoux disculpaient leurs effractions
et les os ne sonnaient plus dans la fuite des éphèbes vers
l’arôme séminale de la mer
1938
Bras dessus, bras dessous
Je t’appelle regarder les escargots qui tombent et se cassent
Bras dessus bras dessous
Regarder ensemble la décomposition prolongée
des lunettes
Dans les yeux des explorateurs
Les fils de neige restés dans les dents
Regarder les luges qui s’écroulent en abîmes
La graisse de foque qui brûle joliment
Bras dessus bras dessous
Regarder les cuisses des juments
Comme des fleurs que je veux t’offrir
Avec le crochet pour pêcher les cadavres
Ta chair qui baisse lentement presque invisible
Je t’appelle au fond du charbon fendu récemment
Qui ne brille plus comme les toiles d’araignée
Ni comme le cerne en verre dont la pieuvre
enivre sa proie
Regarder la conspiration des objets domestiques contre
les coquilles mortes prêtes à devenir des objets
Comme les fenêtres s’ouvrent quand il n’y a de la place dans les
chambres
1935
La masque en os
De ce que je peux avouer publiquement
Fait partie l’heure solennelle quand on court sur le champ
à peu près au niveau de la mer
Aussi mon amour pour les mollusques et mon amour
pour les courants marins
Quand le monde c’est le piano du couloir sur les touches
où se reposent des mollusques congelées
De ce que je peux avouer publiquement
Fait partie aussi la fatigue sans rivages
La fatigue comme une écurie pleine de chevaux de traction
La fatigue qui m’entoure comme un blanc océan
La fatigue c’est presque une plante
Une meute courant après l’eau
Elle rend humide mon coeur elle rend mon amour d’un enfant
La fatique apporte les chiens de la ville à mes pieds
Elle va me perdre
Elle me voit sanglotant lentement comme un moribond
La fatigue est faite de mon sang qui pousse
devant les fenêtres allumées
Derrière qui des femmes fument des cigarettes avec les doigts
Minces
Derrière qui une fille lave ses cheveux et poudre son cou
Traduction: Claudia PINTESCU