POEME ROMÂNESTI ÎN LIMBI STRĂINE 
 



Ion POP   

    Lettres et abeilles

Adolescent, collégien, les jours ensoleillés de mai
de retour de la ville dans le verger de mes grands-parents,
j’avais l’habitude de grimper dans un pommier en fleur,
un livre à la main,
et de laisser se mélanger,
parmi des pollens d’or,
lettres et abeilles. Elles formaient
un cercle autour de moi où
je ne savais plus
à qui le bourdonnement, à qui la lumière.
Et moi, j’étais juste au milieu.

Peut-être je posais même un peu, comme il convient
à un si jeune érudit
destiné, comme l’avaient pensé les miens, les paysans,
à un avenir grandieux et magnifique.
            Le passé
était encore proche – je me voyais
enfant, avec la vache au pîturage,
une corde dans une main, un livre dans l’autre,
sur la bordure des champs, entre les graines et les grives,
            à côté des tombes, –
tous en or et pour toujours.
(Dommage – je pense maintenant – Signac
et son confrère, Seurrat,
n’ont plus vécu ce jour-là
ils ne m’ont pas connu, moi,
et la rivière de Somes non plus –

ils auraient eu, à coup sûr, quoi peindre).

Maintenant, lorsque le pommier est depuis longtemps
réduit en cendre
et qu’au lieu d’abeilles et de grains de pollen
il n’y a plus que les globules qui bourdonnent
autour de moi
pauvres éclats sautant
de mon propre sang,
je suis toujors au centre, à tout entendre.

Même si je sais que ce n’est plus
depuis quelque temps,
poetically correct
d’entendre des musiques,
sur des circonférences rouges imaginaires,
passant toujours plus loin
à travers les fils et les filles, moi,
de mes oreilles vieillies,
j’ose, pourtant,
dire que je les écoute.

Comme la neige qui tombe de plus en plus calme, comme un
prolongement de bruissements vers les étés à venir –
ils seront un peu à moi aussi – l’un d’eux
sentira, peut-être,
souffler,dans son sang aveugle,
une sorte de brise légère, une sorte d’ombre,
il demeura, peut-être,
même pour un instant, pensif,
sans aucune raison, se rappelant
quelque chose sans aucun visage, un brouillard
de musiques couvées
entre les globules et l’eau du lymphe.

Un centre éparpillé en poussières
de lumière, tremblant à peine, et sur le tard,
à cause d’une si lumineuse fatigue,
oubliant lentement, s’oubliant en tout cela,
entièrement en or et pour toujours.


    Delta

Un été, comme je glissais
en bateau sur un bras du Delta du Danube,
ma fille m’a photographié la main droite
un crayon entre les doigts
pendant que je lisais un livre un peu trop célèbre
                    de Vladimir Nabokov
et qu’une libellule presque transparente
venait de se poser sur mon index.

C’était, n’est-ce pas, une sorte d’emblème, très poétique,
de la communication, pour ainsi dire viscérale, mais aussi ineffable,
entre la vie et le texte, c’est pourquoi
elle a été choisie, par la suite,
pour la couverture de mon livre Vie et textes,
les pages, évidemment, en négatif, et ma peau
devenue bleue,
la libellule rouge brique, le crayon transformé de vert
                        en blanc,
son graphite presque fumant,
bien sûr, à cause de la concentration.

Un peu plus tard, quand on était juste sur le point
de se verser dans la mer,
et que le poète N.D. m’a demandé
une sorte de définition lyrique du Delta,
je lui ai répondu, inspiré, que le palimpseste
en serait peut-être très expressif,
( en néo-moderniste tardif,
j’ai été très enchanté par la métaphore):
le grand fleuve apporte, n’est-ce pas,
de nouvelles couches d’alluvions, la musique des pays,
devenus Triangle,
on peut lire ensuite, la mer , en verts feuillettements salés,
la géométrie délivrée à perte de vue, gardant pourtant
un souvenir de lignes droites,
un rayon du grand Oeil.

Et, à répondre, à demander, on glissait vers la mer,
rien que de l’eau et des roseaux autour, la littérature en nous,
une aigrette blanche, un cormoran gris,
et la libellule prise dans la résine de la pellicule, –
et notre sang silencieux sursautant pour un instant,
lorsque, par mégarde,
le livre glissa parmi mes doigts,
ah, Lolita, Lolita,
et s’engloutit dans la vase,
se noyant pour toujours.

Et nous glissions sans cesse
très lentement vers la mer, –
au-dessus notre sang, au-dessous l’eau, les alluvions
au-dessus le ciel, au-dessous les poissons analphabètes et le roman,
la lecture à jamais interrompue
et les roseaux, et les cormorans, et la vase qui ne savaient pas
qu’ils étaient des triangles saints,
et nous qui parlions gravement des palimpsestes,
grisés par la musique des pays,
sous l’Oeil triangulaire.

J’ouvrais les yeux, je fermais les yeux,
sachant, ne sachant pas.
Glissant vers la mer.

   
   
version française: Letitia ILEA


 

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