POEME ROMÂNESTI ÎN LIMBI STRAINE
Ion PILLAT
Etablissements
Là, où la rivière Dame se verse en Ardgesch
Où mon enfance murmure sur les ondes
Comme le Prince Noir régnant qui descendant venait
J'ai établi ma vie sur les collines d'l'automne.
Dans les vignobles d'or comme dans un collier
Sur le poitrel orné de notre côte
J'ai fermé le bonheur dans sa limite étroite
De noyers riches en ombre, ombrant un blanc palais.
Là, dans la paix d'la nuit, sur des vignobles chemins
Près des chars, en silence, je me suis promené,
Quand la neige de la lune neige sur les saules et bosquets
Quand chuchotte la vallée des chansons du moulin.
Comme un ballon je laisse tout notre globe terrestre
En garde dans le balcon de mes aïeuls je reste
Cueillir les près de prunier de mes yeux
Quand blanc, Négoïou, en automne, touche les cieux.
Encore revant aux temps quand les tilleuls fleurissent
Quand le pays s'habille en blanche bure d'hiver,
Je tire au clair, chaque an, comme le passé s'éface
Sur les chemins lointains en sonnant ses clochers.
Resté dehors, quand s'éteind chaque bruit
En regardant la ceindre chaude de ma maison
J'écoute soudain comme craque en frisson
Le souvenir comme une châtaine mûrie.
Ici arriva autrefois
Dans la maison rappelée de balcon et volets
La porte et le verrou d'épeires sont fermés.
Depuis que les haïdoucs luttaient dans la forêt
Ne tire plus lentement le tuyau de cheminée.
Dans leur voie vers l'aube les peupliers vieillissent
Ici grand-mère, Calyopi, était venue jadis.
Impacient grand-père guetta de l'escalier
Parmi les champs de seigle la berline dandinée.
Alors n'était de trains comme à présent; de la berline
Sauta tout mince une fille en crinoline.
Et sous la lune, devant la plaine comme un lac,
Grand-père lui récita décidément « Le lac ».
Et quand sur la maison, en nuit, les cigognes tombent,
Lui dit « Le survoleur » d'un Eliad, à l'ombre.
Les yeux de turquoise, elle l'écoute en cachette
Et tout si romantique, belle histoire se projette.
Comme s'ils restaient… loin, une cloche a sonné
De noce ou de mort, de la vieille tour éloignée.
Mais eux, ce moment-là, ils sentent qu'ils demeurent…
Grand-père déjà est mort, vieille est la grand-mère…
Quel étrange chose: le temps ! - Soudin, sur le mur
Tu te vois seulement dans les portrets obscurs.
Tu te connais ici, mais jamais devant toi,
Car ton corps t'oublie, mais toi, tu n'en peux pas…
Presque hier… la grand-mère arrivait
Sur les même traces maintenant ta charette s'arrêtait.
Parmi les champs de seigle cultivés
La même voie t'apporte devant l'escalier.
Tu foules aux pieds le sable où elle mince bondit,
Quand plein de cigognes demeure l'après-midi.
Tu m'as vu, souriante, peut-être innocent
Quand je t'ai chuchoté poèmes de Francis Jammes.
Dans la nuit, quand le champ était lac sous la lune
Et je t'ai dit « Balade de la lune » de Horïa Fourtoune
Tu m'as écouté inquiète, les yeux d'amétyste
Et tu m'as vu romantique, peut-être symboliste.
Et comme nous restions… loin, une cloche a sonné
La même cloche peut-être - de la vieille tour éloignée…
De noce ou de mort, de la vieille tour éloignée.
(Du volum Sur Ardgesch en haut / Pe Arges în sus , 1918-1923)
En français : Coca SOROCEANU