Ion HOREA



Combien de temps les jours...

L’Apocalypse de ce monde peut passer incomprise encore
sans qu’on puisse frémir de crainte, sans qu’on puisse le dire au moins
lorsqu’autour d’innombrables peuples toujours sans merci se dévorent
et chaque dent a dans la lutte le droit de son cramponnement.
Mais illuminez-vous et dites...! Quel os à son aise se rompt,
quelle pensée reste intangible pendant que saignerait la chair
si n’était pas la roue dans chaque goutte de ton sang ni les monts
de souffrance acchrochés en tranches dans les fourches patibulaires?
Tant d’eux n’ont connu ni la griffe bien déchirante ni la balle
sainte qui met fin à la peine, mais tant d’eux ne savent qu’ils meurent
dans la rage des convoitises d’un anathème mondial
ne restant personne qui puisse reconnaître leur signe à leur.
Attend-on toujours le Prophète et après lui que le Sauveur vienne?
Convoie-t-on encore ceux de lances marchant vers leur paien autel?
D’où ce torrent que je murmure petit à petit se déchaîne
et puis sans cesse coule comme viendrait de la Tour de Babel?
Faites plaisir à ceux qui viennent, donnez à votre sol sa gloire
par tout pas et toute parole, par tout instant que vous vivez
combien de temps les jours sont jours et on ne voit de nulle part
que l’ombre illimitée s’empare de tout et rien n’est plus resté.

 
Ces pensées

Mais qui sera encore à même de mesurer, contre son gré,
dans les ténèbres insondables, la cendre de ce monde-ci
sur une terre dont les sources de vie ont été asséchées
quand l’ombre des monts de la lune couvre les plaines de scorie?
Ne seront plus les croix qui montrent la voie de la rédemption
de l’îme menée sous les balles des temps passés, dans les tranchées,
ni les lisières du bois, douces par leur nature, ne seront
et ni une fois en soi-même par laquelle on peut se sauver.
Voilà, ces pensées viennent dire, ces grandes peurs viennent hurler
de sorte que l’épée, la peine et la faim semblent incroyables
et toutes les annonces saintes, les coups des cloches aux clochers,
par rapport aux orbites vides des yeux d’un temps inabordable.
Elles arrivent me soumetre, sont aux aguets près des clôtures,
barrent ma route quand je passe, rompent l’échelle quand je monte,
on dirait que je prends à ferme mon îme d’une force obscure,
l’icône déchirant la toile me montre son sein sec sans honte.
Tout me dit que c’est bien au monde, tout semble être dans l’attente
de la mesure des douanes quand à poids d’or il faut payer...
Viens m’accompagner jusqu’à la barque, ma pauvre troupe intelligente:
ce n’est pas la mort qui m’angoisse, ce n’est ni son éternité!


Passons

Je ne dis plus une parole de toi et en courant la terre
j’arrive dans des lieux étranges pur te trouver et t’écouter,
mais il semble que le vent souffle faisant danser la niege en l’air –
dis-moi bonjour, et et dis comme dans notre jeu des temps passés!
Pour s’emparer de nous se tisse le tapis rouge du ponant.
Passons donc le pont sur le Muresh, souvenons-nous des jours qui volent
et lisons ce que sur la poutre maîtresse ont écrit nos parents,
tant qu’en amour encor on brûle, tant qu’existe encor sa parole!


C’est moi!...

Mais moi, j’apporte des nouvelles, je suis à nouveau de retour,
aux portes fermées dans lesquelles, voilà, je ne sais plus frapper,
sur le pont j’ai fait une halte dans une balade d’amour,
moi, de l’humanité je rentre comme d’un rêve reculé,
j’ai pris le drapeau tricolore tombé sous les sabots des ch’vaux
dans mon égarement je reste pour arriver jusque chez vous
des tentations dans lesquelles j’aurais pu sombrer tout d’un coup!
Je gravis des plateaux arides, dans le cercle du pont, peureux,
quelle pensée vient me défaire d’un rivage tout inconnu
que je revienne à la compagne où les miens m’appellent chez eux,
passant sur leur pont de douane sur lequel je ne passai plus?

C’est moi! – désespéré, je hurle fort vers un lopin de forêt,
des bouches de glaise se montrent sur le plateau gris en sanglots
et comme dans une prieère disent avoir souffert assez
ou comme un signe de révolte, de noël un très bel écho...


Mais qui sera encore?...

Que tu te voies venir quand jappent les chiens, quand tu attends l’enfant
et qu’elles te montre ta place creusée entre les quatre bords
maître dans ta maison, et l’humble, que tu sois son obéissant
que ses lois restent inflexibles et que sa faux te pique fort
et que te pleurent ceux qui viennent après toi par la porte ouverte
et que les verres retentissent dans ta maison, comme au banquet.
Si l’on écrivait le sort pour toujours, une histoire alerte,
où même la mort a son sens que le pourrais assimiler!
Là-bas, les uns après les autres, que l’esprit n’imagine point,
s’en sont allés comme dans une grande promesse sans retour
en ayant la dot dans un coffre su seulement par les parents
qui pour cacher le mot se prêtent, depuis quelque temps, leur concours.
Mais qui sera encore au monde quand personne n’existera
dans une terre sans cantiques, frou-frou et vie ressuscitée
dans l’essaimage des étoiles par les ténèbres ne sera
personne qui se mette en quête des êtres n’existant jamais
les derniers messagers, tout seuls, les flammes cassées à leur dos
en égarant comme des buffles, sur les célestes pîturages,
beugleront après un stérile, niais et affamé troupeau
sur la terre, au-dessus de toute trace imprimée dans le paysage!


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