POEME ROMÂNESTI ÎN LIMBI STRĂINE

Ion BARBU



 

 

AUX COLIMAÇONS
A mon oncle Sache Soiculescu
dont j’emprunte ici la voix

De mon lot de frères aînés,
D’aucuns morts
Et d’autres fermiers,
De mon lot de frères cadets
Enfants bien sages
Bègues, criquets,
Moi seulement, pîte plus volage
De tous (était-ce donc un don?)
J’étais difforme, vagabond.

A l’époque, plus bête j’étais…

Quand carême plaines visitait
Avec ses fluides graviers d’abeilles,
Notre joie à tous était sans pareil:
Mômes timides
Pieds nus, humides;
Belles demoiselles
(Aux nattes rebelles)
Vêtus de longs cotillons
En bêtes troupeaux allaient partir
Pour recueillir
Herbes, roses d’Inde, colimaçons…

Combien humide, cette baraque…
Et de prendre mes cliques et mes claques.

Tout pareil, une autre fois, mais
Un jour de saint, en Février,
Ou à la fête des Martyres
Notre bande de mômes, gnomes, et pire –
Restait sur la crête, là-haut,
Fort, je ne le suis pas trop.

De fatigue roué,
Sous un coudrier –
Sur un billot,
Je m’affalais
Bientôt…

Sur ce, me vint à l’idée
Qu’à force de scruter, fouiller
Les feuilles trempées – quel encombrement!
Parmi jeunes pousses et verts sarments,
Il se peut que je trouvasse
Un bête limaçon, mollasse…
Une voix tintait dans l’esprit
Comme quoi, l’escargot soumis
Sous sa tombe de feuilles, à côté,
Appelait l’Homme pour l’en tirer…

Et me mis à trifouiller
(Pour ma chance, je l’ai trouvé).
Tout juste microscopique, mais vrai:
Œil de bœuf, couverts de la taie.
Entre cet être et le dehors
Veillait un mur de chaux, bien fort.
– Mais que faire de cet aspect?
Nulle envie de le jeter…
Voulais observer l’éclosion
D’un mou poussin de sa maison:
Voulais le voir ressusciter,
Du sommeil de sa cage tiré…

Et de tout mon long m’étends,
Puis cette magie répands:
„– Limaçon, 
Colimaçon,
Boule tachée
Et verrouillée;
Laisse les ténèbres de ta coquille
Limaçon naïf, et t’éparpille;
Te cacher, à rien ne sert
Sous ces murs lourds et sommaires;
Entre les branches, le soleil sourit
Et dans les prés, l’herbe reverdit,
Sans parler des nouveaux bourgeons
Qui parsèment les arbres de scions –
Limaçon
Colimaçon
Vois l’hiver ses touloupes ôter
Alors que tu es seul au foyer!
Sors, allez,
Depuis tes chemises cornées!
Va, laisse pousser tes quatre petits cils
Si transparents et vibratiles,
Pousse de même petits et humides
Quatre petits fils minces comme des rides.
Et adorne de tes luminaires
Ebouriffées roses trémières,
Ou la fleur de marguerite
De ta blancheur décrépite…

Sur le sommet de haies vives
Côté rives,
Ou plus en bas, si tu préfères,
Là, dans les terres,
Laisse ta bave en guise de repère…”
Après l’avoir fasciné,
Le posai
Et patientai.

Les ténèbres allumaient leurs mèches,
Au-dessus de moi, branches bien sèches
Frémissant au vent, vrai barde,
Me jouaient de rudes guimbardes…

Cette inimaginable forêt
Dépouillée par tant de cognées,
Prompte, opère
L’assombrissement des clairières.
Depuis de ligneux abris,
Des lamies
Je les voyais de travers
Qui bîillaient
Aux lèvres d’amadou, étiolées.
Retournés
Yeux bombés
Dormaient sous fronts tachés drôlement
D’un très velu
Et très barbu
Père filant.

Par ce froid et dans cette houle
Mis en boule
Scrutant d’un œil pénétrant
Au-dessus de la sente, le trajet
Où le soir ourdit la fumée
De nombre d’agissements,

Je vis bien sous le tas de bois
Que se précipitait vers moi
Une goitreuse toute de gourmands.

De travers,
Fixant le chemin
Depuis ses reins
En rase campagne, dans les ravins
Ses bandes tombaient en traînant.
De son goitre, une gourde à visière
De vieille rombière
J’entends un crissement grinçant…

De longs pleurs de fauve vilain
Pleurs enroués
Quand un serpent lui mord la main
Mugissement rauque, évasé,
Le soir hurlait du fond de ses seins
– J’eus peur, comme quoi je me sauvai!

II

La bise souffla toute la nuit…
Je n’étais pas encore arrivé
Que, tout à coup, se déclenchait
Une tourmente, de celles arriérées.
En plein Carême
Brandissait, cherchant querelle,
Nuées de blanches glumelles.
Tombaient aussi, écrasés,
Grains de millet…
(Il neigeait avec fermeté)
Au carbet,
Un feu brûlait furieusement
Bûches coupées.

Dans la hutte, unique surveillant,
Pourvu de plumes – quel entassement…
Indolent, en cueillais, rarement.
Plein de sable, le marchand
Passait – s’en retournait des champs
M’apporter l’assoupissement.
Et, claqué,
Au coin du feu affalé,
Veillais la braise incessamment…
Des ombres épaisses
Comme de vrais paons
Tournaient au-dessus de l’ître
La masse de la vision verdître.

A part moi, disais:
„Mais, lui,
L’escargot bête, amolli?
Dans sa coquille, il claque des dents
Craint de n’être brisé par le vent:
Prie le vent de ne le voler
Et de ne plus le cingler à bout
Portant ni mousse, ni amadou
Dans la forêt,
Prie le vent de s’apitoyer…”

Quittant la braise, déjà rare,
Sur le tard
Mollasse, j’approche la carrée
(C’était haut, n’y arrivais)
Mais par le verre rapiécé
Et par la glace enchevêtrée,
Déployait tout de grîce un voile,
La tourmente quasi spatiale;
Ruiné, le cosmique appontement,
Sur les logements
Jusqu’au-dessus de la crête.
Opalescents,
Exubérants
Tombaient bulbes de ciboulettes.
Tout de suite, je me rappelai
Ce que déjà, moi, je savais,
Une nuit plus que les autres d’antan
Tourmentée
Quand, s’accoudant,
Becs dégoûtants
Soufflent le vent
Pour mettre à bas
Notre ici-bas…
Quand chevauchant les glaces, bouffant
La fée du froid s’emmitouflant
De huit manteaux
A l’étroit,
Reste à gober,
A le hoquet
Et se lamente contre
Le froid
Hé, c’est la même nuit, probablement!
Vite, rentrons
Aux moellons flocons.
Penchant vers le sommeil,
Ne pensais qu’à lui, de guerre lasse.
J’y fis:
Limaçon mollasse,
Que ne vins-tu plutôt à l’air!
Autrement, ni tourmente, ni chimères
Au bois ne t’auraient saisi…
Maintenant, que le feu finit,
La fumée périt,
On serait deux à trier duvets
Et lentement,
Le marchand de sable appeler
Depuis les prés
Pour nous fermer:
A moi, sourcils,
A toi,
La corne droite,
La gauche,
Doucement,
Quand sont détruits
Bois au taillis,
Pauvre d’esprit,
Pauvre d’esprit!

III

Depuis tous ces pennes et duvets –
Vraie neige d’or,
Dès que le soleil se montrait
Au dehors,
A travers champs
Comme en argent
Guerroyant avec le glissement
Pour monter, d’une grande fourche m’aidant,
Revenu sur la crête,
Je fonçais vers la coudrette…

Je l’aperçus près de son lit
De feuillage –
Ce n’était plus qu’une écaillée
Langue tordue et violacée,
Une badine, tel un kandjar,
Le liait au froid de canard!
Froides armures
De rêches bandeaux, qui se repoussent
Là, sur les brindilles impures,
L’agrippaient:
Une feuille morte, comme dotée d’une gousse.

Sur son corps ratatiné,
Me penchai
Et le pleurai:

„– Limaçons, qu’as-tu fait, 
Du sommeil t’es-tu défait?
Tu as cru à ma causerie
Hypocrite… Pure badinerie!
As cru que le soleil brillait,
Que dans les champs l’herbe a poussé,
Que le coudrier est une chanson –
Des mots creux et incantation!
Comme hier, aurais dû dormir
Sourd à ce qu’on veut t’offrir,
Un autre mur de chaux poser
Entre toit et tout ce qui est
Vois?
Tu crus à ma rengaine:
L’hiver s’en prit à ta bedaine…
Du boqueteau passas les bornes
Mais le fis de la mauvaise corne,
Pauvre bicorne,
Pauvre bicorne!

Quand voulus le dorloter,
Je tendis un bras fort amer
D’avoir pleuré…
Et grelottant,
Une paire de cornes argentées
Se tordirent, ensuite s’effritèrent.
Même écorné, il me plaisait…
Et, dans son sac visqueux de bave,
Avec soin, dans la voie, et brave
L’ai porté,
Balancé:
Une toute petite gibecière en soie…
Et chez moi
L’ai bien rangé
Au grenier
(A deux pas, tout près)
Pour lui chanter, de temps en temps
Soit tout haut,
Soit mentalement:
„Limaçon,
Colimaçon,
Soleil s’épand
Dans les alpages et dans les champs,
Les jets t’attendent près de la fauche –
Mais n’as cornes
Ni droite,
Ni gauche.
Elles sont chez le marchand de sable

Sous les érables.
La corne droite,
La corne gauche

En hiver, les cornes cassent,
Limaçon mollasse,
Limaçon mollasse!”

Version française: Constantin FROSIN

 

 

Home